Pendant ses répétitions, et la veille de la première, Alexandre Singh nous a fait l’honneur d’une petite conversation autour de sa première pièce de théâtre, The Humans, parabole cruelle et moqueuse sur la condition humaine (voir notre critique), l’humour grotesque en argument ! Le Festival d’Avignon fait place cette année à la jeunesse et à la nouveauté : Alexandre Singh en incarne l’audace.
Rick et Pick : Vous maniez l’art du paradoxe : derrière la farce et le grotesque, vous abordez la question ultime de la création et de la nature de l’Homme. Comment parvenir à trouver l’équilibre entre l’absurde et la quasi-philosophique ?
Alexandre Singh : Mon spectacle est comique… Je pense d’ailleurs que la comédie, c’est de la philosophie. Tout argument est philosophique. Le sérieux et le comique, ce sont deux choses qui fonctionnent ensemble et se retrouvent souvent dans les grandes tragédies : Hamlet, c’est autant une comédie qu’une grande tragédie existentielle ! C’est une question à la Woody Allen (rires) : Est-ce que le monde est si horrible qu’on ne peut qu’en rire ou est-ce que ce monde est une farce, tellement triste et tragique que c’en est déprimant. Ce sont les deux faces d’une même pièce de monnaie.
J’aime beaucoup dans le cinéma – et même dans les opéras – ces histoires qui amusent et oscillent entre les rires et les larmes… Je ne dis pas que je vais faire rire et pleurer, mais j’essaye d’aborder ces questions avec humour.
C’est la structure et les éléments qui sont posés sur l’histoire qui lui donnent son aspect de farce.
R&P : Dites-nous en plus sur l’histoire de “The Humans” ?
A.S. : Cette histoire se passe pendant la création du monde. Les deux personnages principaux sont deux anges qui décident d’arrêter la création. C’est une fille, c’est un garçon, ils s’aiment, ne s’aiment pas :ils accumulent des expériences et vont finir par devenir “l’ange” et “le diable”. C’est une histoire d’amour qui s’achève ou ne s’achève pas.
R&P : Vous parlez d’origine du monde, du diable… mais finalement vous laissez en suspend une fin plutôt ouverte ? Vous n’êtes ni optimiste ni pessimiste sur l’avenir de l’humanité ?
A.S. : Je pense que la fin est plutôt optimiste. Dans la pièce, il y a un procès dans le troisième acte… C’est un miroir des types d’affrontements qu’on trouve dans les pièces d’Aristophane, l’Agôn, d’où vient le mot agonie, les arguments sont débattus autour de plusieurs personnages. L’idée de la pièce au final, c’est la question “est-ce que d’avoir été créé comme être humain, humain “chuté”, humain mortel, vieux ou laid, vaut le coup ? Est-ce que c’est mieux d’exister ou de ne pas exister?”. A un moment d’ailleurs, les personnages font des petites blagues au sujet du discours d’Hamlet “être ou ne pas être”… Finalement je pense que la pièce constate que la vie est horrible mais qu’il y a des choses qui ne le sont pas… Il y a les cigales par exemple ! Rires
En fait, je ne dirais pas que je suis nécessairement du même avis que la pièce. On peut bien séparer ce qui répond à un processus de création d’une pièce d’art, et qui fonctionne au théâtre, de ce qu’on pense : moi je suis probablement plus pessimiste !!
R&P : The Humans s’ancre dans une forte contemporanéité, jusqu’à des références quasi-pop. Et pourtant, vous en revenez, au fond, aux thèmes les plus anciens, voire universels. Comment expliquez-vous cette diachronie latente ?
A.S. Non, je n’essaie jamais d’être contemporain. Je ne considère pas d’ailleurs que ce soit une bonne chose parce qu’être moderne, être “à la mode”, c’est, comme disait Wilde, devenir très vite démodé… T.S. Eliott disait aussi qu’écrire un poème dans le style d’un poète romain, ne faisait pas de l’auteur un auteur contemporain…
Mon intérêt en vérité, c’est davantage toute l’histoire de la littérature, et de l’art. Finalement ma passion est assez classique.
Ce qui m’intéresse, c’est l’universalité de l’expérience humaine, c’est quelque chose qui me touche, que je trouve intrigant. Bien sûr la société, les arts ont énormément changé depuis 200 ans, mais en même temps, on affronte toujours les mêmes choses : on pouvait trouver, déjà, dans les ouvrages d’Aristophane la corruption, l’argent dans la politique, l’infidélité, le prix des choses, les enfants qui répondent à leur père… C’est l’histoire humaine, c’est notre civilisation… Tomber amoureux, être embêté par ses voisins… C’est ça la dramaturgie, c’est ça être vivant !
C’est ça qui m’intéresse. C’est peut-être urbain comme sensibilité. Mais pour moi le théâtre c’est surtout les relations humaines. Je pense que beaucoup de choses qui nous frappent, et dont on dit “ça c’est nouveau ça va complètement changer la société” ne sont pas si uniques : il y a des événements comme ça dans toute notre Histoire ! Déjà à l’époque, Socrate se plaignait de l’arrivée de l’écriture en Grèce, pensait qu’elle menaçait la connaissance. La conversation était plus importante… Dans toute l’histoire, on a eu ces réticences, comme lors de l’invention de l’imprimerie, ou de l’imprimante… On pense que les choses changent, en fait non. Rien n’est contemporain ou classique…
R&P : The Humans est bien plus qu’une pièce de théâtre. Bien qu’étant votre première création dans ce domaine, elle recèle tout votre art (danse, chant, créations plastiques, écriture…). vous semblez embrasser complètement l’ “art total”, et même davantage peut-être…
A.S. : Oui, absolument, il y a de ça, du Gesamtkunstwerk… C’est le théâtre, le cinéma, tout ça… et maintenant les autres médias aussi, comme les jeux vidéos. C’est un plaisir de créer un monde et de le réaliser, de le suivre dans toutes les étapes, jusqu’à la moindre petite plante, tous les objets ou tous les gestes. Mais le théâtre, c’est aussi une façon de créer qui n’est pas nécessairement totalement individuelle ! Ce n’est pas moi seul qui fait la pièce de théâtre, moi je suis juste derrière, assis dans une chaise… Les comédiens, les techniciens, les maquilleurs, les costumiers, ce sont eux qui font le théâtre, moi je mets juste des boules de neige en marche et j’essaie de les guider (rires) mais à un certain moment, je n’ai plus le contrôle… C’est un plaisir de travailler avec d’autres gens de cette façon !
R&P : C’est votre première expérience de metteur en scène, qui plus est à Avignon ! Cela vous donne-t-il envie d’en faire d’autres, bientôt ?
A.S. : Oui, j’aime beaucoup cela ! Mais il faut dire que le théâtre c’est un stress énorme, c’est quelque chose de très fragile !
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Au Gymnase du Lycée Aubanel du Samedi 5 juillet au Mercredi 9 juillet 2014 – 18h.
Informations sur The Humans sur le Site du Festival
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L’article [Festival d’Avignon 14 – Interview] Alexandre Singh – The Humans est apparu en premier sur Rick et Pick.